Carrion ouvre grand la bouche
Carrion ouvre grand la bouche

[TEST]Carrion : Monstre & Cie

Il y a de fortes chances que 2020 reste dans les mémoires comme une année relativement monstrueuse. Ce sera le cas pour les raisons sanitaires, sociales et politiques évidentes que nous connaissons mais on peut aussi penser que le caractère terrible de ce millésime s’étende aussi au domaine du jeu vidéo, la faute à une tendance ces derniers mois qui place plus souvent qu’à l’accoutumée le joueur dans le rôle du prédateur.
ManEater, Sea Salt, Predator Hunting Grounds, le reboot de Destroy All Humans, autant d’exemples de jeux sortis cette année où nous incarnons la menace pour l’espèce humaine.

Que l’on contrôle un requin, un “grand ancien” lovecraftien ou des aliens, les rôles habituels s’inversent et l’humain devient la proie. C’est le cas aussi dans Carrion, un MetroïdVania 2D au pixel art léché, où une créature informe de chair rouge vif affublé de plusieurs bouches carnassières va tenter de s’évader de l’immense bunker souterrain où elle a été confinée.

Carrion Monstre dissimulé dans le décors
Carrion Monstre dissimulé dans le décors
Jeu : Carrion Genre : horreur, plates-formes Studio : Phobia Game Studio Editeur : Devolver Digital Date de sortie : 23 juillet 2020 Plateformes : Nintendo Switch, PC, xBox One Age : 18+ Prix conseillé : 19.99€
Carrion les entrailles de la bête
Carrion les entrailles de la bête

Carrion : Destruction Massive

Même au tout début du jeu, alors que nos forces sont encore limitées, la sensation de puissance est là. Le monstre carmin se déplace avec une aisance inquiétante le long des couloirs, agrippant les parois de ses longs bras élastiques, compressant sans effort sa terrifiante masse invertébrée pour s’infiltrer dans les canalisations, attrapant à l’aide de ses tentacules les pauvres employés qui arpentent les lieux pour mieux les déchiqueter. Certaines des victimes tentent en vain de s’enfuir en hurlant, d’autres ont l’audace d’essayer de tirer quelques coups de feu sur le monstre avant de venir repeindre les murs sous forme de bouillie sanglante.

Carrion Monstre du matin chagrin
Carrion Monstre du matin chagrin

Weight Watcher

Bien sûr, au fur et à mesure que vous progresserez, vous visiterez différentes zones, et comme tout bon jeu du genre, certains accès seront bloqués avant l’acquisition de certaines compétences. Un tentacule supplémentaire, une invisibilité temporaire, une force décuplée permettant de déplacer plus de types d’obstacles, une forme aquatique alternative, et au bout d’un moment, la capacité de contrôler les humains, autant d’améliorations qui vous ouvriront les portes d’un plus grand terrain de jeu et d’un plus large menu d’actions possibles. Il faudra néanmoins fouiller des zones optionnelles moins accessibles pour compléter totalement votre éventail d’évolution, en dégotant les cuves contenant les souches correspondantes. En plus de votre barre de vie, vous débloquerez d’autres jauges correspondant à de nouveaux pouvoirs et contraintes à prendre en compte. Pour complexifier encore un peu plus les choses, vos capacités lorsque vous serez en pleine forme, c’est-à-dire en tant que masse de chair énorme écrasant tout sur son passage, ne seront pas les mêmes quand vous serez au stade le plus basique de votre silhouette. Par exemple, la capacité permettant d’étendre l’un de vos bras pour activer un levier autrement inaccessible ne fonctionne que si vous en êtes au niveau le plus bas de votre masse. Il faudra donc par moments trouver les lieux où vous délester d’un peu de vos kilos en trop ou vous faire blesser volontairement pour pouvoir lancer l’action voulue et avancer.

Carrion Monstre attaque
Carrion Monstre attaque

Underground Surfing

La fluidité du mouvement et la sensation de facilité qui se dégage de la promenade à travers les niveaux de Carrion sont en grande partie ce qui fait du gameplay un plaisir aussi addictif. Les développeurs de Phobia Game semblent avoir parfaitement compris où se situait le point de bascule idéal entre la liberté de mouvement grisante dont on bénéficie et la suite de contraintes mises sur notre passage. Lors de la prise en main des premiers instants, il est possible de sprinter et tout détruire sur son passage, s’en trop s’inquiéter, en faisant régner un chaos incroyable, très joliment secondé par un sound design au diapason. Les hurlements paniqués, le fracas des équipements arrachés, les tables qui volent, les coups de feu maladroits, les alarmes en folie, le craquement des os sous les crocs acérés, à chaque seconde, l’environnement sonore du jeu joue son rôle à plein régime. C’est cette alchimie délicieusement
huilée entre une ergonomie de commandes à la fois simple et profonde, un graphisme où l’atmosphère oppressante se retrouve dans les moindres détails ou les attitudes corporelles, et un sound design complètement dévoué à la cause chaotique qu’il sert, qui donne à Carrion cette saveur si unique.

Carrion Fais moi voir ce que tu as dans le ventre
Carrion Fais moi voir ce que tu as dans le ventre

Keep Calm et Carry On

Pour réellement profiter pleinement de l’expérience, mieux vaut bien réfléchir avant de se lancer dans le nettoyage d’un tableau. Rapidement, les humains que vous croiserez seront mieux
équipés pour vous résister et vous tomberez plus souvent face aux boucliers électriques, lance-flammes et autres drones et méchas de combat que la milice de sécurité emploiera pour vous stopper. L’équilibre entre la résistance des ennemis et votre propre chemin vers la toute puissance est suffisamment bien gérée sur la longueur pour ne jamais nous laisser trop confiant
trop longtemps, sans jamais pour autant nous frustrer. Vers le milieu du jeu, vous tomberez sur des zones où foncer dans le tas n’est plus possible, vous devrez alors étudier en détail la disposition des lieux, les types de dangers présents, et déclencher les bons événements au bon moment pour faire complètement tomber les obstacles. Ce qui est assez fascinant, c’est que quasiment toutes les situations sont abordables de plusieurs manières. Même quand une réflexion initiale est demandée, s’engouffrer dans la brèche créée pour déchaîner toute sa force est souvent possible. Et pour les joueurs indécis, alterner entre les approches discrètes et le carnage bordélique complet est une bonne façon de vivre cette indécision sans complexe. Que vous soyez tapi dans le faux plafond d’un labo, à attendre que le garde armé passe sous la grille d’aération pour prendre son contrôle et défourailler les autres avant d’actionner le levier qui vous ouvrira la porte, ou que vous choisissiez de faire irruption sans ménagement dans la pièce pour bouffer tous ses occupants dans un déluge de giclées de sang, le plaisir à beau être différent, il est aussi intense dans les deux cas.

Carrion tout feu tout flamme
Carrion tout feu tout flamme

Flashback

Entre son gameplay malin, son design artistique très original et sa structure ouverte complexe, le jeu a déjà les bases pour être un très bon jeu et son mélange délicat d’action, de stratégie et
d’énigmes a clairement été concocté par des développeurs eux-mêmes friands du genre mais Carrion ne s’arrête pas à ce joli cahier des charges techniques soigneusement rempli. Sans pour autant proposer une vraie histoire construite où la situation serait complètement expliquée, Carrion vous plongera à certaines étapes du jeu dans des flashbacks où vous cesserez
brièvement d’incarner le monstre pour vivre l’histoire selon un autre point de vue. On y découvrira quelques nœuds importants de l’intrigue qui donneront une profondeur assez inattendue à l’ensemble et creuseront un peu plus l’attachement que l’on éprouve pour cette créature prisonnière qui, même si elle transforme tout ce qui se trouve sur son passage en os broyés et amas de tripaille, provoque très vite la sympathie du joueur. C’est peut-être là que se situe le petit coup de génie qui fait passer Carrion du simple stade de jeu intelligent et bien fichu à celui de véritable expérience émotionnelle. Cette empathie très étrange que l’on développe peu à peu pour cet être dénué de regard et de silhouette, tout en bouches grimaçantes et en
chair à vif, est très particulière à ressentir. Au fur et à mesure que les origines de la créature se précisent, que les gardes la blesse, que les portes de sécurité se ferment devant elle, notre affection grandit pour cette entité monstrueuse. En découvrant les efforts déployés par les humains pour la créer, on se surprend vite à souhaiter que cette aberration incarne au bout du compte leur perte définitive. Les humains violentés de Carrion et le monstre que l’on y incarne partagent finalement ce même but :ils veulent tout simplement vivre.