[TEST] Syberia – The World Before

J’ai testé pour vous Syberia – The World Before. Digne héritier des premiers volets de la franchise, encore plus beau, encore plus fort, encore plus souple, il ne décevra pas les fidèles du genre. Et les autres ? Plongez avec nous pour le savoir !

Jeu : Syberia – The World before Genre : aventure, point & click Studio : Microids Studio Paris Editeur : Microids Date de sortie : 18 mars 2022 Plateformes : PC, XBox Series S|X, PS5 (Nintendo Switch, PS4 et XBox One à venir en 2023) Prix conseillé :  49,99 € Jeu Solo Testé sur : PC
Syberia : la mécanique, c’est poétique.

Dessinateur, coloriste, scénariste et auteur de BD… et de jeux vidéo, Benoit Sokal nous a quittés en 2021, en laissant derrière lui tout un imaginaire d’aventures fantastiques et historiques. Passionné de technique, d’image, de musique et de cinéma, Sokal a donné vie à travers tous ces medium à des personnages qui (se) cherchent, tous pétris de la même nostalgie, du même doute et du même désir de savoir. Nous marchons sur leurs pas, à travers des récits initiatiques, des voyages intérieurs qui nous emmènent au bout du monde, au bout du temps, avec des parenthèses uchroniques et fantasmées qui nous ont marqués par la chaleur de leur image et la beauté de leurs paysages.

Kate et son compagnon mécanique Oscar, pour le premier opus de la franchise Syberia.

À l’aube des années 2000, Sokal se lance dans l’aventure du jeu vidéo : son premier jeu, L’Amerzone, sort en 1999 chez Microids. Le studio le consacrera en 2002 et pour 4 ans, directeur artistique de ses productions vidéo-ludiques. Il trouve là un terrain de jeu fécond, où il pourra mettre au monde la franchise Syberia, qui met en scène les tribulations fantastico-mécaniques de Kate Walker, avatar sensible et cérébrale de Lara Croft. L’héroïne est d’ailleurs doublée par Françoise Cadol, la voix d’Angelina Jolie dans les films consacrés à l’aventurière à forte poitrine… Nous partons avec elle à la recherche d’un mystérieux inventeur de génie, Hans Voralberg, dans une aventure 3D en point & click en vue à la troisième personne, riche en cavalcades et en énigmes, dans des décors grandioses.

Le premier opus, sorti en 2002, est un succès salué par la critique et les joueureuses pour sa qualité d’exécution graphique et la force de son scénario. En 2007, Syberia II emporte lui aussi l’adhésion du public : décors superbes, musiques sublimes, Sokal fait encore mouche. Il n’en sera pas de même pour Syberia III en 2017, qui tente de renouveler son gameplay… et déçoit ses joueureuses. Il abandonne le point & click classique pour un système de déplacement et d’interaction avec l’environnement plus complexe jugé bancal et s’enlise dans les bugs avec une animation et des graphismes datés, ratés. Les fans de la série en sont donc là, sur leur faim, à ronger leur frein, lorsque sort en 2022 le quatrième opus de la franchise, Syberia – The World before.

Est-ce que Microids transforme l’essai, malgré la mort du créateur de Kate Walker ?

L’HISTOIRE DANS L’HISTOIRE

Dans ses œuvres, Benoit Sokal s’est souvent penché sur l’Histoire, la vraie, avec un grand H, celle que les vainqueurs écrivent depuis qu’ils savent écrire (environs 5 000 ans de prédation de l’homme par l’homme bien documentés, donc), notamment à travers son thème incontournable de nos manuels scolaires : LA GUERRE. Syberia – The World before ne fait pas exception.

La haine raciale, les pogroms, les crimes contre l’humanité et l’extermination de tout un peuple… Le fascisme et sa montée en puissance dans l’Europe des années 30 : telle est la toile de fond de cette aventure, à peine déguisée dans l’univers fictif que nous propose Sokal. Les Juifs sont des Vagherans et les nazis sont appelés l’Ombre Brune, dans un pays qui va bientôt connaitre sa Nuit de Cristal, l’Osterthal.

On sait comment tout ça va se terminer…

Vous suivrez Kate Walker qui doit reconstituer le puzzle de toute une vie, celle de Dana Roze, une jeune pianiste vagherane, parce qu’elle l’a promis à sa tendre Katioucha avant sa fuite du goulag dans lequel elle croupit depuis la fin du précédent opus.

Je ne vais pas vous spoiler son scénario terriblement engageant, mais disons que Sokal n’a reculé devant aucune souffrance à laquelle une femme de cette époque pouvait être confrontée, sans s’appesantir, dans un récit tout en lumière et délicatesse. Costaud comme prouesse. Il sera question d’art, de musique, de sentiments et aussi un petit peu d’êtres fantastiques, sans quoi Syberia ne serait pas Syberia, le tout avec le réalisme de la critique sociale et la poésie du steampunk.

Le jeu offre un lore bien construit et vous pouvez explorer à votre guise l’histoire des lieux que vous traversez, des personnes que vous rencontrez. Enfin, quand je dis « à votre guise », tout dépend : faites-vous partie de ces personnes légèrement obsessionnelles qui éprouvent le besoin compulsif de la complétion, de l’objectif secondaire dûment atteint et du succès proprement encaissé ? Si vous faites partie de ces gens, alors régalez-vous : vous allez souffrir. Le jeu en regorge et tous ces petits plaisirs qui devraient être simples peuvent vous échapper sans crier gare. Je dis ça, je dis rien, mais vous devriez jeter un coup d’œil à mon playthrough, non ?

VAGHEN AU PRINTEMPS

Il ne fait pas de doute que vous serez touché·es par l’esthétique de ce jeu… du moins ses chapitres urbains. Les décors de la ville de Vaghen sont juste à tomber par terre avec ses rues pavées, ses fleurs, ses façades typiques des villes d’Europe centrale du siècle dernier (en fait plutôt l’avant dernier-siècle, je suis vieille, laissez-moi tranquille)… et, donc, sa touche steampunk avec son tramway automatisé, ses automates musicaux et ses résidences qui s’empilent, toutes de pierre, sur un pont gigantesque. Le premier chapitre, notamment, offre une scène finale d’une élégance rarement atteinte dans un jeu qui consiste à s’enfuir d’un goulag et échapper aux fascistes.

Vaghen, petit bijou d’architecture…

Il en va un peu différemment des scènes extérieures, ou, plus prosaïquement de l’animation des personnages. C’est trèèèèès loin d’être raté, mais on sent que certains personnages ont été plus travaillés que d’autres (les personnages principaux bien sûr) et leurs mouvements accusent parfois une certaine raideur. Parfois, une animation époustouflante sera suivie d’un truc un peu approximatif (le mouvement de la moto de Kate par exemple), avant une nouvelle séquence avec des textures au top et une luminosité bien gérée. Les scènes d’extérieur, en pleine nature, accusent le même défaut : c’est beau, tant que ça ne bouge pas trop. Mais moi je pardonne, parce qu’on le sait : animer le courant d’une rivière, ou le mouvement d’un arbre dans le vent, c’est dur. On le sait. Et on pardonne. Soyez pas aigri·es.

LE GAMEPLAY QUI NOUS PLAIT

Mais la vraie bonne nouvelle, c’est que le studio est revenu à ses premières amours niveau gameplay : retour au point & click et aux déplacements conçus pour une souris. Se mouvoir dans les jolis décors du jeu se fait avec assez de fluidité, exception faite des quelques niveaux qui ressemblent à des labyrinthes (comme le cimetière) ou ceux qui vous permettent de prendre le contrôle du hérisson-automate qui va assez rapidement vous tenir lieu de compagnon de voyage. Les changements d’écran sont parfois malaisés dans le premier cas de figure, on ne voit pas toujours où l’on va, la faute à une caméra un peu capricieuse, et dans le second cas, votre vision est diablement réduite et ça n’est pas très confortable. Cela restera toutefois à la marge de votre expérience de jeu.

Le cœur du gameplay reste ses énigmes. Ouvrir des coffres, chercher des items, réparer des machines… vous allez devoir vous creuser un peu les méninges. Enfin… parfois un peu, parfois beaucoup. Et parfois vous arracher les cheveux. Leur difficulté est assez inégale mais leur variété appréciable. Comme vous suivez deux lignes de temps, certaines énigmes se résolvent en faisant appel à l’une ou l’autre, vous ferez donc parfois des allers-retours dans le temps et cet aspect du jeu est plutôt bien géré.

Réparer un automate Voralberg…

Ce qui pourrait, en revanche, vous ulcérer, c’est le système de sauvegarde. Admettons que vous êtes ce type de personne dont je parlais plus haut, qui aiment bien presser le jus de chaque chapitre, explorer tous les recoins de chaque niveau et débusquer chaque objectif/succès. Admettons. Vous pourriez avoir le besoin (assez intense), de rejouer un chapitre précédemment parcouru. Et ben tu peux te le coller où je pense, ton besoin. À moins de bidouiller les fichiers du jeu, il vous faudra purement et simplement recommencer de zéro. Ah ah ah. C’est de la pure violence psychologique, ça devrait être interdit.

Avant de conclure, mention spéciale pour la musique du jeu : le compositeur Inon Zur et la pianiste Emily Bear ont composé et joué pour cet opus une bande-son de première catégorie avec orchestre symphonique et piano à queue, qui donne à cette aventure une envergure toute sokalienne, épique et délicate, pour servir son récit avec intelligence.

CONCLUSION

Syberia – The World before, c’est bon pour les oreilles, c’est bon dans les mirettes et c’est carrément honnête au bout des doigts. L’effort de reconstitution historique de cette Europe du début du 19e allié aux allures steampunk des décors urbains, vous feront sentir comme chez vous dans cette aventure qui vous mènera pourtant très loin, et aussi… très haut. Des personnages sensibles y évoquent des sentiments forts et bien traités, deuil, amour, peur de l’autre, sans jamais achopper sur l’écueil du dialogue lourdingue ou téléphoné. Quant aux multiples succès et objectifs secondaires que le jeu propose, je ne peux que vous conseiller de vous armer de votre meilleure soluce à l’issue de votre première partie, par exemple sur Let’s Frag !

DA, animations, graphismes
8
Gameplay
6.5
Musique, sound design
9
Scenario
8
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0
Un scenario engageant
Des décors superbes
Un gameplay amélioré
Des animations un peu raides
Des objectifs secondaires parfois obscurs
Impossibilité de rejouer un chapitre
7.9