[TEST] Stray

Vous parlez couramment le patépoulet, ça vous fait rire quand votre chat fait tomber des trucs fragiles depuis le sommet des plus haut meubles de votre appartement, ça vous fait délirer ses allers-retours incessants entre le dehors et le dedans, ou cette façon – tellement choupie – de montrer fièrement son anus quand il est heureux ? Bah, jouez à Stray, de toute façon on ne peut pas être plus détendu·e que vous ne l’êtes déjà.

Jeu : Stray Genre : aventure Studio : Blue Twelve Studio Editeur : Annapurna Interactive Date de sortie : 19 Juillet 2022 Plateformes : PC, PS4 et PS5 Prix conseillé : 26,99 € Jeu Solo Testé sur : PC
Debout ptit minou, c’est l’heure de l’aventure !

Stray est une aventure à la troisième personne, cette personne étant… un chat. Vous évoluez dans un environnement gentiment cyberpunk où vous avez chuté par mégarde. Votre mission : retrouver vos amis félins, dehors.

Le cyberpunk a le vent en poupe, mais c’est quoi au juste ? On va devoir digresser un peu pour retomber sur nos pattes (tu l’as ?)

Le terme nait dans le monde littéraire dans les années 1980, sous la plume d’auteurs américains qui cultivent leur marginalité et leur passion pour le fantastique et la science-fiction. À une époque où se répand le LSD, dans un contexte mondial d’après-guerre où la jeunesse hallucine un futur pour le moins désenchanté, on invente des formes littéraires et visuelles qui alternent lumière artificielle et obscurité, où naissent des anti-paradis violemment dépressifs. Le premier ouvrage à hériter de ce qualificatif est celui de William Gibson, Neuromancien, en 1984. On y trouve tout ce qui fera le mouvement cyberpunk : l’emprise du capitalisme et des grandes corporations industrielles sur la vie des individus dans une dystopie pré-apocalyptique, la place de la technologie (notamment les augmentations physiques cybernétiques), les mégalopoles sans fin qui ne dorment jamais, la drogue, les néons, les putes et les pirates informatiques (et cela une poignée d’années avant la naissance officielle de l’internet en 1989), sans oublier l’anti-héros, pathétique sur les bords et seul contre tous. Gibson s’est lui-même inspiré des ouvrages de K. Dick et du film Bladerunner (sorti deux ans plus tôt), et après lui, c’est une flopée de Ghost in the Shell, Matrix, Minority Report et Cyberpunk 77 qui sont nés de cette même inspiration. C’est l’Amérique qui l’a inventé, mais le cyberpunk va rapidement prendre une identité visuelle exotique…

Il se trouve qu’en 1980, le coin du monde que l’on craint, qui explose technologiquement et tient la dragée haute à l’Amérique sur le marché informatique et robotique, du jeu vidéo et de l’animation cinématographique, c’est l’Asie. Ce n’est pas un hasard si dès sa naissance, le mouvement cyberpunk va emprunter à la culture asiatique son spleen post-nucléaire et post-coloniale pour développer sa noosphère froide et dangereuse, ses décors sururbains agressifs au cœur palpitant de néons. C’est l’enfer de l’Amérique, un enfer qui tue ses soldats et suce son économie. Les mangas Akira et Ghost in the Shell sortent respectivement en 1982 et 1989 et vont tout emporter sur leur passage à l’instant où leurs versions animées seront diffusées à l’étranger : l’Asie, et notamment le Japon, cet outsider menaçant, ce vieil ennemi, se trouve exactement là où on l’a fantasmé. Le cyberpunk, c’est chez lui.

Cette identité va durablement marquer le mouvement jusqu’à nos jours, où la ville cyberpunk, surpeuplée et verticale, se confond souvent avec Tokyo. Revenons à nos minous : Stray ne déroge pas à la règle et a choisi un enfer encore plus anarchiste, encore plus violent pour monter son décor : la ville emmurée de Walled City. Oupsi, nouvelle digression historique pour celleux qui ont la flemme de suivre le lien Wikipedia (vous ratez quelque chose mais bref) : la citadelle de Kowloon est une enclave chinoise au milieu de la colonie britannique de Hong-Kong, brièvement occupée par l’armée japonaise durant la seconde guerre et qui a fait l’objet de nombreuses tractations diplomatiques (plus pour s’en débarrasser que pour la revendiquer, d’ailleurs) avant d’être purement et simplement abandonnée à son sort. La ville a alors poussé en hauteur dans la plus totale anarchie, jusqu’à atteindre une densité de population hallucinante : 1,9 millions d’habitants au km² en 1987 (elle n’en comptait toutefois « que » 50 000, mais sur 0,26 km²). Les structures dressées à la va-comme-je-te-pousse et gangrenée par le crime laissaient à peine passer la lumière jusqu’au sol. En 1987, avant sa démolition, il fallut une semaine à un groupe d’explorateurs pour traverser entièrement ce monolithe labyrinthique en vue de le cartographier…

C’est précisément cette cité qui a inspiré la ville morte de notre jeu, Stray. C’est le même environnement foutraque et exigu, éternellement plongé dans la nuit et jonché de déchets dans lequel notre petit minou va devoir se frayer un chemin. Pour peu que vous y prêtiez attention, vous noterez l’invraisemblable mélange des cultures qui en ont fait tiquer plus d’un·e : chapeau conique des rizières, tags en anglais, prénoms japonais, chemises hawaïennes et radeau en tronc de bananier, en matière d’appropriation culturelle, Stray a choisi de ratisser large, et si ça manque certainement de tact (colonisation, racisme orientaliste, guerre, criminalité, conditions de vie inhumaines, tout ça n’évoque pas exactement de bons souvenirs), c’est peut-être bien ce qui le sauve : on rase tout et on recommence, mais avec un petit chat mignon (d’ailleurs : le neco est le chat de la chance en japonais). Cet appel à la culture asiatique se retrouve dans beaucoup de projets visuels estampillés cyberpunk et c’est toujours bon de savoir de quel chapeau malicieux ça sort. Non, Stray n’est probablement pas le jeu raciste de l’année, parce qu’il a trouvé moyen d’éviter le pire écueil : il n’y a pas d’humain ici, donc pas d’accents à singer, pas de coutume à dégrader. On va faire dans la simplicité et évoluer dans les vestiges d’une culture passée, sans l’interroger. Avec légèreté. Les codes du cyberpunk y sont tout adoucis, c’est le passif humain contre lequel on va lutter. Il est bien question de justice sociale, mais tout ça, c’est passé. Pas de LSD, pas de putes, pas de Triades, pas de conglomérat capitaliste à dézinguer. Juste une bactérie qui a eu le loisir d’évoluer après l’apocalypse et quelques drones programmés des siècles plus tôt et pas encore mis au rebut. Enjoy : l’apocalypse est derrière vous, p’tit minou ! Et la Terre est enfin redevenue un paradis.

Le gameplay : hop hop et miaou

Ce qui caractérise ce jeu, c’est son accessibilité. Les try-harder vont pleurer, peut-être, mais les casus dans notre genre, ils sont heureux ! Chaque mécanique possède son petit tuto, textuellement, ou en jeu, par une approche toute pédagogique : ainsi vous apprenez très vite que faire tomber des pots de peinture, ça paie, et les mêmes ressorts reviennent sans cesse : pousser une planche pour pouvoir marcher dessus, suivre un câble pour trouver son chemin, repérer les aérations qui permettent de monter toujours plus haut (elles sont même fléchées, parfois) et utiliser les objets qui ne sont clairement pas des déchets. Vous ne pouvez pas tomber, vous ne pouvez pas vous perdre, le jeu sauvegarde pour vous… Stray, c’est facile.

Le jeu tire son charme de son personnage jouable, bien sûr : un petit chat roux. Vous pouvez miauler, abîmer tout un tas de trucs avec vos griffes – canapés, tapis, murs – faire tomber des objets, vous frotter contre les jambes des passants (et même les faire tomber en leur passant entre les pieds), faire la sieste aussi longtemps que vous voulez, boire de l’eau dans des p’tites gamelles – mais pas vous lécher le cul, c’est bizarre non ? Vous allez beaucoup grimper et vous glisser dans des petits espaces, abaisser quelques leviers, transporter des trucs dans votre gueule… vous allez être un chat ! Et un très bo chat, oui madame. Les animations sont réussies (j’aurais tellement aimé assister à la motion capture !), les décors grandioses, soigneusement éclairés et texturés. Ce qui manque à ce jeu, c’est un mode photo !

Vous croiserez dans ce monde abandonné des personnages fort attachants : la seule chose qui reste de l’humanité, ce sont ses robots domestiques qui ont assez évolué pour faire de la poésie, cultiver leur aspirations à la liberté et choisir de faire vivre l’échoppe du coiffeur parce que ce qui compte chez le coiffeur, ce n’est pas vraiment le cheveu. Ils aiment les plantes même s’ils mangent des cartes graphiques, la musique, jouent au basket et cherchent autant de nuances de blanc qu’ils peuvent en imaginer, ils sont comme ça : pleins d’espoir slash humanité.

À l’exclusion de quelques ennemis quand même pas mal oppressants mais que vous ne croiserez que dans certaines zones, votre mission de pôtichat va consister à résoudre quelques puzzles spatiaux (en 3D, il va falloir grimper, grimper, beaucoup grimper et sauter aussi), chiner des souvenirs et infos éparpillés dans ce monde pas trop grand, heureusement, mais assez dense. Vous explorez, vous découvrez, c’est juste beau et émerveillant.

Musique et sound design consolident cette douceur, mais aussi l’immensité de ce monde creux où tout résonne, habité par vos ronrons, le bruit de vos p’tites patounes sur le béton… et des objets qui tombent.

Conclusion

Stray peut se retrouver dans toutes les mains, petites et grandes. Il n’est pas compliqué, ni difficile, ni trop long (il se speed run en deux heures, sinon comptez une demi-douzaine d’heures pour le parcourir en ligne droite, le double pour aller chercher tous les trophées du jeu qui sont fort sympathiques). La musique est bonne, l’histoire touchante, il est quasiment impossible de détester ce jeu. Pour moi, c’est un coup de cœur et vous trouverez son playthrough complet sur Let’s Frag ! pour vous aider à le compléter.

Les DA, les animations.
9
Scénario, narration
8
Gameplay
7
Musique et sound design
9
Alors ton avis ?0 Note
0
Une vie de chat, les odeurs en moins.
Des décors qui font rêver et des animations convaincantes.
Des personnages attachants.
Un jeu accessible à toustes.
Des trophées sympas à aller chercher.
Un parcours très fléché.
8.3