Bo et ses amis en ont marre de se beurrer la tronche à l'alcool bon marché
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[TEST] NO LONGER HOME

« Et si des gens comme nous discutaient de la même chose, en ce moment-même, à l’autre bout de l’univers ? » No Longer Home commence avec une courte discussion entre Ao et Bo, deux jeunes étudiants à l’aube de leur dernière année dans leur université anglaise. Les deux personnages, dont un carton nous indique avant même que le jeu ne démarre qu’ils sont inspirés des deux développeurs à l’origine du jeu, sont inquiets, peu confiants à l’égard de leur avenir, incertains au sujet de leur place dans la société, de leurs capacités, de leur genre : “illes” sont tous deux sont non-binaires. C’est ce qui va les rapprocher et quand on les retrouvera un an plus tard, le retour imminent de Ao au Japon, d’où le personnage est originaire, va leur paraître d’autant plus difficile à supporter qu’une solide amitié s’est nouée entre eux.

Jeu : NO LONGER HOMEGenre : point’n click narratif Studio : Humble Grove Editeur : Fellow Traveler Date de sortie : 30 juillet 2021 Plateformes : Steam, Epic Games Store PEGI 12 Testé sur : PC Prix conseillé : 12,49€ – Langue française non disponible
Le point and click narratif d’Humble Grove est à la fois méditatif, planant, bavard, étrange et parfois un peu répétitif. La plupart du temps, vous promènerez Ao et Bo dans les différentes zones de leur appartement britannique où règne l’ambiance typique d’une colocation étudiante. Souvent obsédés par le délai qui les sépare de leurs déménagements respectifs, ils observeront les objets disposés dans les chambres, la cuisine, la salle de bain, le jardin, et chacun d’entre eux dévoilera des détails plus ou moins précis sur l’un des protagonistes. Ils parleront aussi souvent, beaucoup, tout le temps en fait, avec énormément de personnages. Comme dans Tell Me Why, les problématiques liées au genre des deux personnages sont un sujet du récit mais jamais le sujet principal.

Entre Quatre Murs

Les décors de No Longer Home se font très vite mouvants, littéralement, les murs et les espaces se réajustent régulièrement, la caméra zoome et dé-zoome d’elle-même, librement, et ira même parfois jusqu’à montrer d’autres lieux tout en laissant les personnages continuer leur discussion en off. Vous est donnée la possibilité de faire pivoter la vue isométrique pour découvrir ce qui se trouve de chaque côté des quatre murs. Ainsi, le changement de perspective, avec son bruit mécanique de coulisse, est très vite complémentaire à celui de la narration du jeu. Tout est d’une fluidité très agréable, et le mouvement des lieux accompagne avec élégance celui des dialogues et des changements de personnages.

Friary Road Zero

Techniquement, il ne se passe quasiment rien dans No Longer Home, mais chaque ligne de dialogue, chaque commentaire introspectif sur tel ou tel élément du décor nous permet d’en apprendre un peu plus sur les deux personnages. Le surréalisme latent du jeu, avec ses graphismes en polygones basse définition et sa musique atmosphérique dont les nappes sourdes et imposantes accompagnent les moindres nuances du récit, semble assumer une parenté évidente avec un autre jeu récent : Kentucky Route Zero ; on est bien ici dans une aventure intime, calme, habitée, dont la complexité psychologique contraste avec la simplicité du gameplay. Parmi les originalités du titre, on trouve cette étrange façon de laisser le choix dans les phases de dialogues non pas forcément entre différentes réponses, mais parfois entre les personnages qui répondent ou questionnent à leur tour ce qui est discuté sur le moment. Cette liberté d’orientation des interactions verbales donne un rythme et un naturel aux discussions dont peu de jeux du genre peuvent se targuer. A travers l’angoisse du déménagement et plus généralement des grands changements à venir dans la vie de ses personnages, No Longer Home parvient à soulever un nombre non négligeable de problématiques quotidiennes sur le statut d’adulte, si difficile à assumer pour Ao et Bo, sur leur non-binarité dont les personnages découvrent chaque jour un peu mieux les contours, sur leurs petites paresses ordinaires qui mènent à un laisser-aller (très étudiant) quant au nettoyage de l’appartement, sur le fait que les voisins leur ont clairement volé leur serpillère, et sur leurs démons, qui n’ont pas grand chose d’effrayant, tranquillement installés qu’ils sont sur le lit ou le fauteuil d’une chambre mitoyenne…

Monstre de Compagnie

En effet, sur un niveau plus fantastico-psychologique, Bo et Ao auront chacun des interactions avec leurs « monstres » respectifs, qui font partie intégrante de la colocation et occupent certaines pièces sans que leur présence n’alarme plus que ça nos protagonistes principaux. L’étrangeté du monde de No Longer Home paraît toujours en parfaite adéquation avec cette période de la vie où les adolescents deviennent finalement des adultes, où les images de l’enfance se camouflent discrètement, comme par nécessité, dans le paysage cartésien des grandes personnes. Dans No Longer Home, on passe d’un personnage à l’autre lors de transitions quasiment impossibles à prévoir, on apprécie la présence des amis venus pour notre dernier barbecue, on se replie dans la chambre pour lancer une partie de jeu vidéo. Ce dernier, lancé par la petite bande d’amis devient alors notre nouvel environnement, et on glisse d’un univers à l’autre dans un mouvement complètement naturel, grâce à une réalisation finement chorégraphiée où les mouvements très “free-jazz” de la caméra permettent d’accomplir sans fausse note ce genre de pirouettes.

Dans Ma Bulle

Évidemment, avec une direction artistique et un parti-pris de réalisation aussi marqué, le jeu d’Humble Grove trimballe des défauts qui le sont tout autant, à commencer par son autisme plus ou moins assumé, qui peut parfois fatiguer, malgré la très courte durée de l’aventure (grosso modo 2 heures). Certaines phases de dialogues s’apparentent parfois plus à de l’atermoiement bourgeois qu’à une réelle réflexion constructive. La forme très originale dont les dialogues sont organisés peut aussi frustrer en empêchant le joueur d’aller glaner des informations basiques qui aideraient à mieux appréhender les personnages, surtout vers la fin. La quantité limitée d’environnements à visiter et l’ordre visiblement arbitraire (même s’il s’agit d’un arbitraire simulé) selon lequel on y a accès peuvent aussi provoquer une claustrophobie qui s’ajoute mal à l’atmosphère générale. Il faut néanmoins avouer que ces écueils sont principalement liés à la nature très atypique du jeu et il serait hypocrite d’applaudir la prise de risque d’un côté tout en pointant du doigt les dérives de l’autre. No Longer Home est un jeu entier, dans tous les sens du terme, certains joueurs, amateurs d’expériences narratives hors-normes, adoreront l’atmosphère légèrement lynchienne, comme un coup d’œil lancé dans un trou de serrure, quelque part dans une ruelle oubliée entre Night in the Woods et Disco Elysium. Sans jamais atteindre la qualité de ces deux illustres jeux, No Longer Home parvient à légitimer une certaine comparaison avec eux. Que vous l’aimiez ou pas, No Longer Home a une vraie personnalité et c’est déjà suffisant pour que vous lui donniez une chance.

[TEST] NO LONGER HOME
Graphismes
7
Musiques / sons
9
Narration
9
Rythme
6
Réalisation / Originalité
10
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8.2
/10